La conférence de clôture du congrès sur Ramon d’Abadal qui s’est tenu à l’Institut d’Estudis Catalans (IEC) en novembre dernier a été prononcée par Michel Zimmermann, professeur émérite d’histoire médiévale à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et membre correspondant de l’IEC. Nous avons parlé avec lui de son admiration pour Abadal et de sa passion pour l’histoire de la Catalogne.

 

Michel Zimmermann est venu à Barcelone accompagné de son épouse, Marie-Claire Zimmermann, grande promotrice de l’étude de la langue et de la littérature catalanes en France et l’une des principales spécialistes de la poésie d’Ausiàs March. Tous deux se promenaient dans le cloître de la IEC avec une affabilité extraordinaire, parlant à ceux qui les approchaient, toujours souriants et détendus. Elle était le guide de l’historien au congrès, car, bien qu’il comprenne le catalan, il ne le parle pas. Cela ne l’a pas empêché d’être l’un des chercheurs au monde ayant effectué le plus de recherches dans les archives catalanes.

 

 

Michel Zimmermann et Marie-Claire Zimmermann avec Jaume de Puig, un des responsables de CATCAR.

 

Les Zimmermann ont suivi attentivement chacune des interventions de la conférence, montrant ainsi leur intérêt pour d’Abadal et son travail. Il a lui-même déclaré : « D’Abadal est ma source, le fondement de ma connaissance de la Catalogne médiévale. Lorsque je suis venu à Barcelone en 1971, où j’ai passé trois ans comme boursier dans la section scientifique de la Casa de Velázquez à Madrid, c’est par lui que j’ai découvert la Catalogne ». Pour le professeur, « les travaux de d’Abadal, notamment Els primers comtes catalans, montrent qu’il était un historien qui partait des textes ». C’est pourquoi il déclare : « Ses recherches étaient précises et exactes, il ne s’éloignait jamais des documents, il les analysait littérairement et en extrayait tout le contenu Cela m’a fasciné. Ses études ont été décisives ». Le chercheur français a également souligné le caractère exceptionnel de la documentation conservée en Catalogne :  « J’ai passé de nombreuses années à découvrir les archives catalanes, émerveillé par leur richesse et, surtout, par ce qu’elles apportent à la connaissance factuelle, structurelle et culturelle de la société contemporaine ».

 

« La naissance de la Catalogne est un processus passionnant d’une originalité indéniable »

Dans son dernier livre, Naissance de la Catalogne, Michel Zimmermann enquête sur l’origine de la nation catalane, un sujet qui était au centre de la conférence qu’il a donnée lors du congrès. L’historien considère que la naissance de la Catalogne est « un processus historique passionnant d’une originalité indéniable ». Pour expliquer ce caractère particulier, il remonte à la fin de l’Empire romain, « car, à cette époque, la future Catalogne était un passage naturel et essentiel entre l’Italie et l’Espagne ». Il raconte qu’ « elle a été plusieurs fois le théâtre de mouvements centrifuges par rapport aux constructions politiques qui l’entouraient : du rejet initial des Barbares au nom d’une romanité préservée à la survie d’un réduit gothique à la fin de la conquête arabe, en passant par divers élans séparatistes ».

L’historien a expliqué comment les Francs ont progressivement pris le contrôle du territoire frontalier, qui a toujours été réticent à accepter les politiques centralisatrices. Les souverains carolingiens, cependant, « eurent l’habileté de satisfaire les exigences des futurs Catalans en matière de gothicité », et c’est ainsi qu’ils les ont intégrés.

Le démembrement progressif de l’empire de Charlemagne fut parallèle à l’éloignement de plus en plus clair des habitants de la future Catalogne à l’égard du royaume franc. Selon M. Zimmermann, cette liberté croissante et la situation frontalière du territoire furent le moteur de leurs revendications autonomistes. Cela a donné naissance à un pouvoir régional qui, à la fin du IX siècle, se consolide avec le début des dynasties héréditaires à partir de l’époque de Guifred le Velu, le dernier comte nommé par les Francs. Pour l’historien, l’un des événements qui a marqué l’avenir du pays est le raid d’al-Mansur sur Barcelone en 985. Pour lui, cette attaque, qu’il décrit comme « la pire catastrophe que le pays ait connue jusqu’alors », a fondé la conscience collective de la catalanité.