Le Xᵉ siècle est l’époque choisie par Jordi Romeu et Jaume Font pour situer Terra de marca, un roman historique qui nous emmène dans la Catalogne carolingienne. Avec cette œuvre, et en naviguant entre des faits réels et fictifs, nous pouvons approcher d’une façon différente les comtés catalans, qui sont l’origine de la Catalogne actuelle. Nous en avons parlé avec les auteurs, qui nous ont expliqué le procès de création de l’œuvre et quelques clefs du texte.

D’où a surgi l’idée de situer le roman sur les terres de la Marca Hispanica, la Marche d’Espagne?

Terra de marca parle des origines du Penedès, mais aussi de ceux de la Catalogne. Ceci est le premier point d’intérêt et d’ici a surgi l’idée. Le Xᵉ siècle est une époque lointaine et peu documentée qui suscite un grand intérêt, parce qu’il nous parle un peu de ce que nous sommes maintenant, et de son héritage qui est très important. Sans en tenir compte, nous ne pouvons pas comprendre notre histoire jusqu’à aujourd’hui. Par ailleurs, Rivus de Berilas est le nom originel de notre commune, Sant Pere de Riudebitlles, et donc, la curiosité de savoir les circonstances et les raisons de la naissancedu prieuré, d’abord,  et de la ville, ensuite, nous a semblé un motif suffisant pour tenter l’aventure d’écrire un roman. En fait, le site de Rivus de Berilas a été très puissant dans le développement économique et social de la marche du Penedès.

Croyez-vous que cette période de l’histoire est correctement et suffisamment expliquée ?

Le matériau historique pour cette période est rare, mais suffisant. Il exige de la volonté d’investigation et assez d’intuition par savoir et deviner où chercher. Après, vient la tâche de créer la trame du roman à partir de cette investigation. Par ailleurs, nous ne sommes pas les premiers auteurs à avoir fait un roman sur cette époque, mais il est vrai qu’il y a d’autres périodes de l’histoire plus expliquées. Une des conséquences de ce manque relatif de matériau est qu’il oblige à faire un effort d’imagination pour représenter les personnages et les sites. Cependant, nous avons écrit le roman en utilisant toute l’information que nous avons trouvée sur l’époque, ainsi que les traités historiques écrits par des experts dans la matière.

Sur quelles sources vous êtes vous basés pour vous documenter ?

L’information a été trouvée en différentes sources, par conséquent nous n’en citerons que quelques unes. Par exemple, comme bibliographie avons utilisé, entre autres : En els orígens de Catalunya, de Michel Zimmermann (Éditions 62, 1989); Història de Catalunya, de F. Valls Taberner (Selecta, 1979), et le Diccionari Barcanova d’història de Catalunya, de Ramon Sòria i Ràfols (Barcanova, 1990). Nous sommes basés aussi sur différents articles, comme « Córdova en el siglo X », de Jésus Pijuán; « El creixement físic de Barcelona, segles X-XIII », de Philip Banks dans Barcelona Quaderns d’Història, ou un article de l’hebdomadaire El 3 de Vuit intitulé « Històries del Penedès », publié le 5 décembre 2013. En plus, nous sommes sortis de la bibliothèque et nous avons fait des visites à Sant Cugat du Vallès, à la cathédrale de Barcelone, au Musée d’Histoire de Barcelone, à Cordoue, à Medina Azahara et aux alentours de la route de Malaga à Cordoue. Il est évident que le processus de documentation est long et laborieux et qu’une grande partie de l’information que l’on en obtient n’est pas utilisée dans un roman, parce qu’alors il deviendrait un traité d’histoire.

Votre œuvre est un roman historique. Quelle part de fiction et quelle part de réalité y trouveront les lecteurs ?

Le cadre est réel, comme il ne pouvait en être autrement, et, donc, le lecteur y trouvera une explication du moment historique qui s’ajuste à la réalité. Les faits historiques sont bien documentés, ainsi que les circonstances qui les entourent. Il y a des personnages qui aussi sont réels, comme les comtes Sunyer, Miró et Borrell, la comtesse Riquilda, le calife Abderrahman, son fils Al-Hàkam ou l’abbé de Sant Cugat Gotmar. Malgré cela, nous leur avons donné une voix, nous nous sommes mis dans leur peau et, donc, nous les avons supposé des préoccupations et des satisfactions dont nous ne pouvons savoir s’ils les partageraient. D’autres personnages répondent à des profils tout aussi réels — comme la figure de «la favorite» du calife de Cordoue ou l’eunuque royal — et beaucoup d’autres à des canons historiques —comme les chevaliers, les laboureurs, les moines et les artisans — qui, assurément, auraient pu vivre à cette époque.

Expliquez-nous la trame du roman. Quels sont les personnages principaux et à quelles péripéties font-ils face ?

Le roman part de la visite d’un moine bénédictin à la vallée de Rivus de Berilas pour trouver un site où construire un nouveau prieuré, mais le manque d’entrain du seigneur de Mediona, maître de ces terres, fait que l’histoire se complique. À partir d’ici, le moine, accompagné d’un des laboureurs de la zone, revient à Sant Cugat pour rapporter les mauvaises nouvelles et il traverse de nombreuses péripéties, d’abord à Barcelone puis lorsd’une expédition à Cordoue, la ville des Omeyyades en pleine effervescence. Nous pouvons parler, donc, de quatre décors différents reliés entre eux, d’une part par les relations de vassalité et, de l’autre par les relations commerciales et humaines. À cette époque, les relations de pouvoir et les stratégies diplomatiques ont eu un rôle essentiel dans la configuration du territoire et c’est ce que nous essayons de refléter dans le roman. Comme il s’agit d’un roman d’aventures, les faits se succèdent l’un à l’autre, presque toujours de cause à conséquence, sans aucune transition.

Nous sommes en plein Xᵉ siècle et la Catalogne déjà a commencé à s’écarter de la domination franque. Qu’est-ce que le roman explique de ce processus ?

La véritable indépendance des comtés catalans se réalise pendant ces années. Depuis Guifred le Velu, dont les fils se vont autoproclamés successeurs héréditaires des comtés qu’il dominait, les différents comtes se sont peu à peu détachés des Francs de façon presque naturelle. L’éloignement avec le siège de l’Empire carolingien permettait aux seigneurs de la terre  d’en faire un peu à leur tête et de s’éloigner de la domination franque. Cependant jusqu’alors ils reconnaissaient encore leur vassalité à l’empereur et ce n’est qu’en 988 que le comte Borrell II rompit ce pacte de vassalité avec le roi franc et que naquit, de facto, l’indépendance des comtés catalans. En fait, dans le roman apparaît déjà un fait qui annonce cette direction des événements : l’abdication du comte Sunyer pour ses deux fils Miró et Borrell est un signal indubitable de l’écart avec l’Empire franc, qui, comme nous le disions, peu d’années auparavant imposait encore celui qui devait succéder dans la direction des comtés.

Dans le roman apparaissent le monde musulman et le monde chrétien. Quelles différences avez-vous souligné entre les deux cultures ?

À cette époque, Cordoue était une référence dans le monde méditerranéen par la richesse culturelle et par le pouvoir qu’il exerçait sur la plus grande part de la Péninsule. Il faut penser que la capitale, avec plus d’un demi-million d’habitants, été considérée comme l’une des villes les plus riches du monde connu. Y cohabitaient les religions les plus importantes du moment et des églises chrétiennes et des synagogues juives y existaient à côté des grandes mosquées musulmanes plus spectaculaires. Par ailleurs, la culture dans le monde musulman était considérée comme primordiale et, pour cette raison, tous les enfants et les filles étaient scolarisés de façon gratuite et obligatoire. Du point de vue de l’hygiène et de la propreté, y avait aussi une grande différence avec les comtés chrétiens : à Cordoue on disposait de bains publics et d’eau courante, ce qui dans le domaine chrétien était impensable, et ses systèmes d’irrigation, de culture et d’emploi de la force hydraulique y étaient les plus avancés du moment. Il faut dire que les comtés chrétiens étaient en pleine création, qu’ils occupaient des terres qui jusqu’alors étaient frontalières et, en plus, qu’ils ne disposaient pas des ressources humaines suffisantes pour leur développement. C’était sans aucun doute le point de départ d’une civilisation qui devait encore apprendre beaucoup pour se hisser au niveau de la culture de Cordoue.

Que trouveront les lecteurs du roman sur la Barcelone comtale ? Comme l’avez-vous présentée ?

Les lecteurs y trouveront une véritable vision de la Barcelone du Xᵉ siècle, bien documentée et décrite, avec des détails peu connus, comme, par exemple, la description de l’ancienne cathédrale, du Palau Comtal, des portes de la ville et de la vie quotidienne dans la rue. Barcelone apparaît dans le roman comme une ville en pleine effervescence, pleine d’activité et de nouveaux habitants. Elle est en train de se transformer en une véritable capitale dotée de tous les pouvoirs : ecclésiastique, économique et politique. C’est le début d’une longue histoire de domination sur le territoire qui démarre à ce moment. Le pouvoir du comte de Barcelone s’étendra au reste des comtés grâce au pouvoir d’attraction de la ville.

Quels sont, d’après vous, les lecteurs potentiels du roman ? Est-il destiné à un public en particulier ?

Le roman s’adresse à un public général parce que nous avons essayé que la partie de fiction domine la partie historique. Le cadre historique est essentiel pour le roman, mais la trame, dans ce cas, est celle qui permet au lecteur de s’attacher au texte. À partir du plus strict respect des livres d’histoire, Terra de marca est éminemment un roman et, donc, c’est le récit qui doit avoir la parole. Le cadre historique sert de décor : les situations, les costumes, les conditions de vie, les statuts sociaux sont propres à l’époque, mais les données historiques restent au deuxième plan et ils apparaissent seulement pour nous situer. Cependant, en lisant le roman, en suivant le récit, le lecteur peut découvrir ce qu’était la vie dans cette époque et les origines de cette terre où nous habitons. Et ici nous revenons à la première question. D’où a surgi l’idée du roman ? De cela, donc, de reconquérir cette partie de l’histoire, qui est essentielle pour comprendre le point où nous nous trouvons de notre Histoire, avec une majuscule.

Vous pouvez lire le premier chapitre de Terra de marca ici.