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Dans la bibliographie sur la documentation carolingienne il y a toujours des références à des documents faux, c’est-à-dire falsifiés.

On a commencé à parler de  ces documents, s’en a commencé à partir du XVII siècle, après que les érudits aient constaté des incongruences, des raretés et des données contradictoires dans un document ou un groupe de documents par rapport à d’autres documents. Les très nombreux documents octroyés par le roi mérovingien Dagobert ont en particulier attiré leur attention…

Ce fut le jésuite Daniel van Papenbroeck qui écrivit une œuvre irréfutable (Propylaeum antiquarium circa veri ac falsi discrimen in vetustis membranis, Anvers, 1675) contre la documentation de la période mérovingienne-carolingienne : selon lui, c’étaient en majorité des documents d’une authenticité douteuse,  si ce n’est absolument faux. Ainsi était mise en doute la validité légale des possessions et des domaines des abbayes bénédictines, d’une partie de la noblesse et de toutes les personnes physiques ou morales qui fondaient leurs droits sur les privilèges que leur avaient octroyés ces documents. S’ouvrait alors naturellement un vif débat social, et ce fut le point de départ de la future – et encore lointaine – sécularisation des biens ecclésiastiques.

En plus d’ouvrir ce débat, l’œuvre de Papenbroeck a eu un autre effet. Ce fut le point de départ de l’œuvre de Mabillon et des historiens de la congrégation bénédictine de Saint-Maur. À partir du De re diplomatica libri VI (1681), œuvre de Mabillon, naît la science diplomatique et sont proclamés les principes de la critique diplomatique, qui furent par la suite exposés d’une façon plus logique, après avoir travaillé sur des matériaux plus abondants, par dom Toustain et dom Tassin (Nouveau traité de diplomatique, 6 vol., Paris, 1750-1765), avant les grands manuels d’Arthur Giry (Manuel de diplomatique, 1894) et de Harry Bresslau (Handbuch der Urkundenlehre für Deutschland und Italien, 1912-1932).

Dépourvue maintenant de ses enjeux sociaux la critique des documents faux a fait progresser la science historique. Aujourd’hui la critique diplomatique, à côté des documents directement falsifiés, distingue aussi les documents interpolés et les documents actualisés, qui, sans être directement faux, sont des documents qui ont été adaptés, manipulés ou simplement « farcis » avec des éléments que ne figuraient pas dans l’original. Quelques-uns de ces documents retouchés ont été reconnus comme véritables dans leur rédaction originale. D’autres fois, les ajouts répondent aussi à des actes véritables, documentés par d’autres voies, et sont souvent postérieurs à la rédaction du contenu originel. De sorte que, à côté de la fabrication de faux, née naturellement quand surgissaient des litiges entre des institutions et quand n’existait pas encore le notaire public, on reconnaît aussi aujourd’hui les formes de l’interpolation et de l’amalgame documentaire.

 

                                                         Jaume de Puig i Oliver
Responsable du projet CATCAR