Tout près de l’abbaye occitane de Sainte-Marie de Lagrasse, fondée au VIIIe siècle, qui s’enorgueillit d’un authentique diplôme de Charlemagne, attribué en janvier 779, deux lieux-dits au nom étrange surprennent le promeneur ou le lecteur de la carte. Ces toponymes font mention de l’empereur franc. Ce sont des créations très postérieures à l’époque carolingienne. Elles témoignent d’une vitalité des légendes autour de l’empereur, faisant écho à la diffusion populaire de la Chanson de Roland.

 

 

Ces lieux-dits, « Le Pied » et « Les Fesses de Charlemagne », sont expliqués a posteriori par une légende sans doute créée de toutes pièces, qui dit qu’un jour Charlemagne, en visite à Lagrasse, chevauchait dans les environs : son cheval trébucha au lieu « Le Pied de Charlemagne » – qui serait alors peut-être « le pied (du cheval) de Charlemagne » – et, chutant de son destrier, l’empereur se retrouva (cul par dessus tête ?) assis au lieu « Les Fesses de Charlemagne »…

Ces toponymes ont sans doute pour origine une particularité du terrain, une anomalie ou une curiosité qui aura éveillé l’imagination des habitants du lieu. Il n’est pas impossible qu’un trou dans la terre, une cavité, une légère dépression, ait été interprétée comme une trace ancienne de pas, figée dans la terre ou dans la pierre, anormale, énigmatique. Mystère, merveilleux, ancienneté, il n’en fallait pas plus pour que la mémoire réinventée de l’empereur à la barbe fleurie ne vienne habiller la curiosité topographique d’une explication glorieuse, baignée de la présence légendaire de Charlemagne, entretenue par les moines de l’abbaye autour de la charte de 779.

Plus facile est l’explication des « Fesses de Charlemagne », car ce lieu-dit est voisin de celui de « Les Faysses », c’est-à-dire « les feixes », les cultures en terrasses allongées, soutenues par des murettes, sur les versants des collines qui dominent la vallée de l’Orbieu et l’abbaye. Sans doute un certain goût populaire pour l’humour gras et les allusions aux parties « honteuses » explique-t-il que, le « Pied de Charlemagne » étant à peu de distance, le lieu-dit les Faysses (prononcé en français  ‘les fesses’) ait donné lieu au calembour « Les Fesses de Charlemagne ». La déformation française du toponyme peut le faire supposer plutôt tardif…

 

Aymat Catafau
Université de Perpignan Via-Domitia