Alcuin et Raban Maur offrent leur travail à l’archevêque Odgar de Mayence (Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, cod. 652, fol. 2v: De laudibus sanctae crucis. IXe siècle)

 

La vision traditionnelle de l’histoire qualifie le Moyen Âge d’obscur, mais cette vision est depuis des années déjà dépassée. Il suffit de lire les œuvres de Jacques Le Goff pour nous rendre compte que nous ne serions pas où nous sommes aujourd’hui, s’il n’y avait eu les « obscurs » temps médiévaux. Une des périodes qui a apporté le plus de clarté est justement l’époque carolingienne. En fait, dès 1832 Jean-Jacques Ampère a établi le concept de renaissance carolingienne, qui englobe la période comprise depuis la fin du VIIIᵉ siècle jusqu’au début du suivant, coïncidant avec les règnes de Charlemagne et de son fils, Louis le Pieux.

 

Aix-la-Chapelle, la nouvelle Rome

Au VIIe siècle, les clercs de Rome avaient un niveau culturel et intellectuel de plus en plus médiocre. Mais aux premières années du VIIIᵉ siècle on commence à percevoir une vraie rénovation culturelle dans les îles Britanniques, la Gaule et certaines régions de l’Italie, qui se manifestent dans l’activité artistique mais aussi dans le rôle des scriptores ou scribes et des enlumineurs de manuscrits. L’occupation islamique de la péninsule Ibérique à partir de 711 a provoqué aussi le départ en Gaule d’intellectuels, moines et clercs, qui emportaient des livres manuscrits hispaniques.

Quand il est monté sur le trône, Charlemagne a entrepris un voyage dans  les terres italiennes. L’empereur est revenu à Aix-la-Chapelle accompagné de Pierre de Pise (744-799), un clerc maître de grammaire. D’autres intellectuels qui ont fait de la cour un espace ouvert à la culture furent l’abbé Fardulf, le grammairien Paulin d’Aquilée, Paul Diacre, le géographe anglais Dicuil, l’Espagnol Teodulf et le moine Alcuin, qui est devenu son principal ministre en matière culturelle. Ces intellectuels ont stimulé l’étude des arts libéraux (Trivium et Quadrivium).

Charlemagne savait le latin, un peu de grec et, surtout, avait une grande envie d’apprendre, une attitude qu’il a conservée toute sa vie. Même si nous savons peu de choses de son enfance, certaines sources expliquent que « le prince Charles fut instruit dès sa prime enfance dans la religion et qu’il apprit tard à écrire avec un résultat mediocre » (Eginard, Vita Karoli Magni, 25, 26). Nous pouvons en déduire que son intérêt permanent pour la connaissance fut ce qui le conduisit à s’instruire et à créer une cour ouverte à l’intellectualité et à la culture.

Un des apports les plus importants de Charlemagne à la renaissance carolingienne a été la réforme de l’éducation : il a stimulé la création d’écoles, l’étude de la grammaire, de la rhétorique, de l’astronomie ou de  la théologie. C’est ce que dit  Alcuin (Épître IVᵉ) : « Charles cherchait, à travers ses compagnons du palais et les occupations de son règne, de pénétrer dans les mystères des philosophes. »

Charlemagne transmettait son obsession pour la connaissance à ceux qui habitaient le palais, y compris les enfants. Ce fut aussi l’époque où Charlemagne promut la copie de livres de luxe, avec lesquels il créa une véritable bibliothèque, qui comprenait des écrits de Salluste, Cicéron, Térence, Juvénal et Martial, entre autres.

Tout cela a permis que Charlemagne transforme Aguisgrà en une nouvelle Rome. Il a même voulu rivaliser avec le basileus (titre des empereurs romains d’Orient) comme un nouvel Auguste, protecteur des lettres et des arts.

 

De litteris colendis

Au Concile de Francfort de 794 on recommandait déjà que les évêques instruisent les clercs. C’était l’objet de la missive De litteris colendis, qui promouvait l’étude des Écritures, « qui sont pleines de schémas, de tropes et de semblables figures… » et qui recommandait de chercher « des hommes qui aient le souhait et la capacité d’apprendre, et le goût d’instruire les autres ». Cette missive, bien connue de tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’enseignement, était adressée aux évêques et aux abbés des monastères.

Charlemagne a instauré à Aix-la-Chapelle que les clercs apprennent bien le chant et qu’ils prient tous de la même manière et il s’inspirait, entre d’autres, du sacramentaire que lui avait envoyé le Pape. C’est seulement que pouvaient être unifiée la liturgie et effacés les vieux usages gallicans à l’autel. Mais Il ne suffisait pas de prier. Il fallait instruire le peuple et l’éloigner des anciennes coutumes païennes pour qu’il embrasse définitivement la foi chrétienne. Pour cette tâche, le clergé devait être instruit.

Enfin, il faut mentionner que Charlemagne voulait que l’écrit – le document – ait à nouveau la valeur qu’il avait eue dans le passé et qu’il avait perdue en partie à cause de l’usage du droit coutumier.

 

Daniel Piñol
Universitat de Barcelona

 

Bibliographie
Alcuin. Monumenta Germaniae Historica, Epistolae IV, Epistolae Karolini Aevi, vol. II (E. Düemmler, ed.). Munich : Berolini, 1895, <https://www.dmgh.de/epp.htm> [Consultation : 23 mars 2021].
Einhardi. Vita Karoli Magni [en ligne]. Édition de G. H. Pertz et G. Waitz. Hanovre : Imp. Bibliopolii Hahniani, 1905, <https://archive.org/details/einhardivitakar00unkngoog/page/n105/mode/2up> [Consultation : 23 mars 2021].
Paul, Jacques. Culture et vie intellectuelle dans l’Occident médiéval. Textes te documents. Paris : Armand Colin, 1999.
Riché, Pierre. Écoles et enseignement mais le Haut Moyen Âge. Paris : Aubier Montaigne, 1979.
Rosso, Paolo. La scuola nel Medioevo, secoli VI-XV. Rome : Carocci editore, 2018.