Biblioteca de Catalunya, Ms. 569, f. 57v

 

Rares sont les œuvres littéraires du haut Moyen Âge qui nous permettent d’avoir une bonne connaissance de cette période historique et plus rares encore celles qui furent écrites par une femme. Mais il existe un livre particulièrement intéressant : le Liber manualis, le manuel d’éducation que Duoda, aristocrate mariée au comte Bernard de Septimanie, a écrit pour son fils Guillaume. Cette œuvre contient des détails sur la vie et la politique dans l’Empire carolingien et est un témoin d’une grande valeur sur la pensée et les sentiments d’une femme de son temps. Nous avons parlé avec Mireia Comas Via, spécialiste de la question des femmes au Moyen Âge et membre de l’équipe de CATCAR.

Dans les années 841 et 843, Duoda, une noble carolingienne, a écrit le Liber manualis, consacré à son fils aîné, Guillaume, né le 29 de novembre 826. La dame, d’origine familiale incertaine, fut mariée en 824 avec Bernard de Septimanie, fils de Guillaume de Toulouse et cousin de Charlemagne. Par ce mariage, Duoda est devenue duchesse de Septimanie et comtesse de Barcelone, Gérone, Osona, Roussillon et Empúries. Sans nul doute, son mari fut l’homme le plus puissant au sud de l’Empire et cette circonstance l’a conduit à s’impliquer dans la crise de la dynastie carolingienne pour la succession de l’empereur Louis le Pieux (814-840). Lors de ce conflit armé, en 841, Bernard de Septimanie s’est vu obligé de livrer son fils aîné, Guillaume, comme otage de Charles le Chauve. En plus, il a convenu que son fils Bernard, qui venait de naître, serait envoyé immédiatement à la cour d’Aquitaine.

C’est dans ces circonstances que Duoda, retirée dans son château d’Uzès, a commencé à écrire le Liber manualis, dont une copie est actuellement conservée à la Biblioteca de Catalunya (Ms. 569, ff. 57-88). Cette dame noble a voulu, de cette façon, réduire par ses mots la distance avec son aîné et continuer ainsi son éducation. Le livre montre la souffrance et l’angoisse d’une mère séparée de son fils et son impuissance à lui transmettre tous ses enseignements, ses conseils, ses valeurs morales et religieuses… et surtout son amour. La mère savait que son fils, comme tous les jeunes nobles de son temps, serait instruit pour la guerre et, pour cela, souhaitait que ses mots le conduisent au chemin de la paix, de la justice et de la charité. Pourtant, Duoda, en femme de son temps et de sa classe, voulait transmettre aussi à son fils Guillaume l’importance d’appartenir à une lignée et l’obligation de se montrer toujours fidèle à son père, de qui provenait son statut. Mais le livre contient en plus des fragments autobiographiques, grâce auxquels nous pouvons entrer, conduits par la main de l’auteure, dans la vie du milieu du IX siècle, particulièrement dans les affaires à caractère politique et militaire dans lesquelles était plongé l’Empire carolingien.

Il est évident que Duoda fut une femme de son temps, qui a dû vivre des événements dramatiques, cependant elle est remarquable par sa personnalité d’une extrême richesse et par sa formation culturelle. Le Liber manualis, est, sans doute, un document unique pour comprendre la mentalité et les sentiments d’une femme de l’époque carolingienne. Duoda est morte, solitaire, peu de temps après avoir fini le livre pour son fils, qu’elle n’a jamais revu, pas plus que son fils Bernard.

Pour nous plonger dans ce trésor littéraire et dans la vie de l’auteure, une des références indispensables est l’œuvre Duoda, comtessa de Barcelona, de Renada-Laura Portet. L’écrivaine de la Catalogne du Nord a étudié le manuel en profondeur et elle a reconstitué l’histoire personnelle de l’auteure, qui nous fait pénétrer dans la vie sociale et politique du IX siècle.

Écrivaine roussillonnaise et une des voix littéraires les plus importantes de la Catalogne du Nord, Renada-Laura Portet (1927) a écrit de la poésie, des nouvelles, des romans, des drames, des essais et des écrits scientifiques sur la linguistique, la toponymie ou l’onomastique. Membre de la Comission Nationale de Toponymie, Officier de la Légion d’Honneur (1995), Creu de Sant Jordi (2004) et lauréate de plusieurs prix catalans et français, Renada-Laura Portet s’est aussi consacrée à l’enseignement et a collaboré aux médias et aux revues scientifiques et culturelles.

À l’occasion de son quatre-vingt-dixième anniversaire, l’Institut d’Estudis Catalans et l’Institució de les Lletres Catalanes ont organisé en son honneur un hommage, le 28 juin 2017.

 

 

Mireia Comas Via
Universitat de Barcelona

Fragments du Liber manualis : ici.

 

Bibliographie :
Duoda. Manual per al seu fill. Introducció i traducció de Mercè Otero i Vidal. Barcelona: Proa, 2004. (Clàssics del Cristianisme)

Dronke, Peter. «Dhuoda». A: Las escrituras de la Edad Media. Madrid: Crítica, 1995, p. 62-85.

Mayeski, Marie. Dhuoda: Ninth Century Mother and Theologian. Scranton: University of Scranton Press, 2005.

Portet, Renada-Laura. Duoda, comtessa de Barcelona. Barcelona: Rafael Dalmau Editor, 2008.

Rivera Garretas, María-Milagros. «Dhuoda: La maternidad». A: Textos y espacios de mujeres (Europa, siglos IV-XV). Barcelona: Icaria, 1990, p. 65-79.