Un des buts fondamentaux de CATCAR est expliquer la Catalogne carolingienne d’une façon attirante et accessible pour le grand public. Nous avons parlé avec Borja de Riquer, directeur de Vides catalanes que han fet història (Barcelona : Edicions 62, 2020), un succès éditorial qui réunit cent vingt biographies de personnages remarquables du pays.

L’œuvre Vides catalanes que han fet història prend la suite de l’œuvre Història mundial de Catalunya (Barcelona : Edicions 62, 2018), qui a été un franc succès et dont à ce jour ont été vendus trente mille exemplaires. Ce premier volume se basait surtout sur les faits, par contre, ce nouveau projet se centre sur les personnes. La biographie est-elle un bon genre pour divulguer l’histoire?

Nous sommes déjà à l’époque de la biographie, parce que c’est un genre qui permet d’entrer dans l’histoire avec un fil conducteur – la vie d’un individu – qui a un vrai attrait. Si le récit est bien fait littérairement, il permet traiter une série d’aspects qui dans les œuvres les plus générales restent délaissés. Les gens qui veulent comprendre l’histoire veulent aussi savoir dans quelles circonstances une personne adopte certaines attitudes, certaines options. Le succès de la biographie est qu’elle permet, à partir de la vie d’un personnage, de connaître tout un monde social et son contexte historique. Dans les livres d’histoire générale, où l’individu a pratiquement disparu, cela ne se trouve pas.


Historia mundial de Catalunya est un format inspiré de l’Histoire mondiale de la France, que Patrick Boucheron a dirigée en 2017 et dont cent cinquante mille exemplaires ont été vendus en France. En Catalogne, nous n’avons pas encore une bonne tradition d’œuvres biographiques ?

Sans doute dans les pays anglo-saxons et aussi en France et en Italie, il y a une tradition de biographie sérieuse qui s’adresse au grand public. Ici, cette tradition nous manque. Malheureusement, le monde académique universitaire a été réticent à écrire des biographies. Il y en a, mais parfois elles s’adressent à un public très spécialisé, connaisseur de cette thématique ou de ce personnage. Parvenir au grand public avec rigueur, simplicité et apports nouveaux n’est pas facile; malgré tout, chaque fois nous avançons davantage dans ce chemin. Le contenu est important, mais aussi la forme, le style littéraire. Un bon biographe doit être d’abord un bon écrivain. Il doit savoir atteindre les gens et remplir le récit d’informations autour de ce personnage. C’est la manière d’avoir un vrai succès public.


Le livre recueille cent vingt biographies de personnages remarquables, depuis l’époque antique jusqu’à l’éppoque contemporaine, écrites par une centaine d’historiens coordonnés par Isabel Rodà, Josep M. Salrach, Joaquim Albereda et Margarida Casacuberta. Quels ont été les critères pour choisir les biographies?

Avec les conseillers qui m’ont aidé avons fait d’abord une liste extrêmement longue de noms : il y avait centaines de personnages dignes d’être biographiés, mais il fallait la réduire pour faire un volume. Nous avons exclu ceux qui dans l’Histoire mondiale de Catalogne déjà avaient été traités ; il ne s’agissait pas de reparler de Ramon Llull ou d’Antoni Gaudí. Nous avons exclu aussi les personnages vivants pour des raisons évidentes. Nous avons fait une sélection finale combinant importance et originalité. Les plus emblématiques doivent y être : Francesc Macià ou Jacques Ier, par exemple. En dehors des canoniques, nous voulions aussi y inclure des hommes et femmes moins connus mais très représentatifs d’un groupe social ou de certaines circonstances précises, tant dans le domaine politique et culturel que dans le domaine scientifique et le monde du travail.


Parmi les personnages choisis y a peu de femmes. Est-il plus difficile de documenter la vie des femmes ?

Oui, c’est plus difficile. Si nous pensons à la documentation historique, jusqu’au XIXᵉ siècle la présence des femmes est infime, parce qu’elles n’ont pas une personnalité juridique aussi remarquable que les hommes. Sauf les princesses ou les comtesses, nous en trouvons difficilement, sauf à travailler des sources historiques plus profondes des archives, d’où les historiens et, surtout, les historiennes, dans les dernières années, sont en train de faire émerger des femmes qui étaient méconnues. Dans ce livre, par exemple, nous présentons Duoda, qui est un personnage très peu connu, l’épouse d’un comte et une femme qui écrit. C’est exceptionnel parce que dans tout l’Europe, aux VIIIᵉ et IXᵉ siècles, il y a très peu de femmes qui écrivent, elle est donc un personnage assez emblématique.


Les biographies apportent-elles des éléments nouveaux ? Il s’agit de personnages qui ont généré déjà beaucoup de littérature, comme le comte Borrell ou Oliba de Cerdanya, deux des noms remarquables de la période carolingienne.

Dans certains cas ce sont des personnages très connus, oui, mais les historiens cherchent des aspects nouveaux ou des thèmes auxquels on avait accordé peu d’importance et qui aujourd’hui nous semblent importants. Nous voulions que les auteurs nous présentent, au delà des traits fondamentaux des biographies, l’importance des personnages : comment ils avaient été considérés en leur temps et comment les voit aujourd’hui l’historiographie.

Nous avons aussi sorti certains personnages de l’anonymat : Dolors Aleu, par exemple, la première femme médecin de l’État espagnol, qui a eu une d’énormes difficultés pour exercer. C’est important sauver de l’oubli ces personnages que le grand public ne connaît pas.


Croyez-vous que le monde académique accorde assez d’importance à la divulgation?

Malheureusement très peu. Comme professeur d’université, je me trouve souvent devant des collègues et aussi des élèves qui continuent à faire un type de travail – pas seulement les thèses doctorales – qui s’adressent à leurs collègues. Il est évident qu’il doit y avoir un débat entre historiens, mais on ne peut pas s’adresser seulement aux collègues : il faut s’adresser à la société. Nous devons accomplir une tâche civique, didactique. Nous devons expliquer nos recherches en cours à nos concitoyens de façon compréhensible, ne pas écrire pour nos quatre amis. L’historien ne peut pas s’enfermer dans une tour d’ivoire et écrire des articles de revue en pensant que cela sera lu et discuté. Évidemment cela doit exister, mais on ne peut pas abandonner le grand public, parce que, si non, qu’est-ce qui se passe ? Peuvent apparaître alors des vulgarisateurs peu rigoureux qui font une divulgation attractive mais très discutable – une vulgarisation mal faite, déformée –, et cela nous devons essayer de l’éviter.


Quelle est la clé, selon-vous, pour que la société s’intéresse à l’histoire?

Il faut combiner la forme et le contenu. Nous avons eu peu pris en compte la forme. La divulgation qui peut être faite par la télévision et le cinéma est très importante, mais aussi par les livres et par les revues d’histoire. Je pense que, dans ce pays, nous commençons à avoir des revues d’histoire et de vulgarisation, Sàpiens ou L’Avenç, qui sont très bonnes et compétitives sur le plan international. À la télévision sont produits de très bons programmes, surtout sur TV3. En cinéma, je suis plus critique : nous avons fait peu de choses et pas toujours bien orientées. La ciutat cremada, par exemple, est un des premiers grands films historiques sur un fait historique précis en Catalogne : la Semaine Tragique de 1909. Malheureusement, ce film n’a pas été suivi par d’autres semblables, et ce n’est pas par manque d’événements historiques, mais par l’absence de relations entre un bon communicateur et une information historique rigoureuse. Ici il faut faire est un effort de relation entre l’historien, comme conseiller, et le communicateur, comme responsable du procédé permettant de toucher un maximum de gens.