Le congrès en hommage à Ramon d’Abadal organisé à l’Institut d’Estudis Catalans (IEC) en novembre dernier a permis aux historiens invités de se plonger dans la Catalogne carolingienne. Certains des intervenants ont rappelé l’immense travail de l’historien et de son équipe pour rassembler toute la documentation de l’époque. C’est le cas d’Ignasi Baiges, membre de l’IEC et de l’équipe CATCAR. D’autres, comme Xavier Costa, professeur à l’Universitat de Barcelona (UB) et collaborateur de CATCAR, Cristian Folch et Jesús Alturo, tous deux de l’Universitat Autònoma de Barcelona (UAB), ont pu se plonger dans la vie de ces premiers Catalans.
Ignasi Baiges a été chargé d’évoquer la première étape de l’élaboration de la collection « Catalunya Carolíngia », la grande œuvre d’Abadal, que le professeur a définie comme « l’un des fonds documentaires les plus importants au monde, surtout si l’on tient compte de l’exiguïté du territoire et de sa chronologie ».
Baiges a fait référence à la période de publication des cinq premiers volumes, entre 1999 et 2020, comme une période « d’impulsion et d’engagement » de l’IEC et de sa Secció Històrico-Arqueològica : « Cette phase de la période se situe à un moment où Miquel Coll i Alentorn, Josep M. Font i Rius et Anscari M. Mundó ont chargé Jaume Sobrequés i Callicó de poursuivre le volume consacré à Gérone, Besalú, Empúries et Peralada, tâche qui avait été entreprise par Santiago Sobrequés i Vidal, qui s’en occupa jusqu’à sa mort ».
Il a également déclaré que dans ces cinq volumes, 5.644 documents ont été rassemblés, dont 2.112 sont des originaux. De ces chiffres, a-t-il dit, on peut déduire l’importance des copies, qui ont souvent été les « seuls témoignages que nous ayons reçus des textes ». En ce qui concerne le type de documents, il a souligné qu’un grand nombre d’entre eux concernent la propriété de terrains et d’autres biens immobiliers. « Le nombre de textes relatifs à l’application de la justice et à la résolution des conflits est également important », a-t-il ajouté.
La conférence nous a permis de vérifier la validité des travaux d’Abadal, mais elle a également conduit certains historiens à offrir une nouvelle perspective sur ses travaux et à interpréter les textes et les vestiges carolingiens avec les outils technologiques et les méthodes les plus modernes.
La villa carolingienne
Cristian Folch, de l’UAB, a abordé le paysage des VIIIᵉ, IXᵉ et Xᵉ siècles en partant des études d’Abadal, mais en soulignant que les progrès de la recherche sur le haut Moyen Âge ont fait un grand bond en avant au cours des vingt dernières années. En ce qui concerne les établissements carolingiens, il a expliqué qu’ « il s’agissait généralement de villages wisigoths dont l’apparence n’avait pas beaucoup changé au départ ». « Ils avaient un secteur d’habitat, les typiques églises préromanes, normalement associées à des tombes anthropomorphes, une zone de stockage en silos et une autre de structures de transformation» . C. Folch a expliqué que le problème de cette période est qu’il n’existe pas de sites archéologiques fouilés d’une villa dans son ensemble, mais que l’on travaille sur des fouilles partielles qui rendent plus difficile la reconstitution de la vie rurale de ces siècles. Cependant, il a souligné qu’il s’agissait de « petits villages, avec des cabanes couvertes de végétaux, au milieu des prés et des vignes ».
Le monachisme du haut Moyen Âge
Xavier Costa, de l’UB, a fait l’éloge du travail d’Abadal dans ce domaine : « Il a posé les bases de l’historiographie monastique moderne », et, à titre d’exemple, il a parlé de son étude sur Eixalada-Cuixà. « Il a abordé l’étude du monachisme comme un fait ayant des modèles communs, qui devait être étudié dans son ensemble », a-t-il déclaré. Le professeur a rappelé qu’après le départ des musulmans, il y a eu une importante résurgence de monastères dans le territoire où est née la Catalogne : « En deux siècles, 144 monastères ont été fondés dans une zone très restreinte, ce qui est surprenant ».
Conformément aux dernières études sur cette période, X. Costa affirme que, contrairement à ce que pensait Abadal, « les monastères n’ont pas été fondés dans des zones marginales, mais dans des lieux de tradition ancienne, dans des régions riches et bien desservies par les voies de communication ». Pour cette raison, conclut-il, on suppose maintenant que ce ne sont pas les puissants francs de l’estérieur qui ont encouragé la fondation de ces nouveaux monastères, mais qu’ils étaient « le produit des sociétés locales ». En ce qui concerne l’expansion des monastères, il remarque qu’« au départ, elle se fit par l’achat de terres des environs, mais, qu’avec l’apparition des lignages comtaux autonomes, il y a eu une explosion des donations, ce qui a permis aux moines de contrôler des zones stratégiques et qui a eu pour conséquence la dispersion des domaines monastiques ».
Le niveau culturel de la Catalogne carolingienne
Jesús Alturo, de l’UAB, a consacré son intervention à la description du niveau culturel de la nouvelle Catalogne : « Les livres de tout le haut Moyen Âge qui ont survécu avec beaucoup de difficultés doivent avoisiner les trois mille », un chiffre très révélateur pour lui : « Nous nous trouvons devant une société globalement analphabète, ne sachant ni lire ni écrire. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils étaient ignorants, ils connaissaient d’autres choses, plus nécessaires pour gagner leur vie ». Sur le loisir culturel de l’époque, il a expliqué qu’ « il a été laissé à la transmission orale, dont nous n’avons aucune preuve, nous ne pouvons que nous référer à la culture écrite », qui provenait toute de la même source, « la brève bibliothèque contenue dans un seul livre : la Bible ».
Alturo a esquissé « une société théocentrique dans laquelle la culture littéraire était aux mains de l’ordre ecclésiastique et à laquelle le peuple participait à travers la catéchèse, la prédication et les images représentées dans les églises ». Selon le professeur, après l’arrivée des Sarrasins, la création littéraire a pratiquement disparu, « la proto Catalogne de l’époque carolingienne n’a offert aucun nom aux lettres latines », et « la pensée théologique, la plus importante à cette époque, semble s’être éteinte ». En ce sens, J. Alturo considère que les attaques guerrières liées à l’entrée des musulmans n’ont pas aidé, mais il ajoute que « la principale cause de l’abandon culturel a été la volonté de Charlemagne de supprimer toute forme de dissidence théologique ». Pour cette raison, souligne-t-il, l’empereur a opté pour une liturgie uniforme et une écriture unique. Pour J. Alturo, dans ce contexte, « la création littéraire et la libre expression de la pensée ne pouvaient s’épanouir en raison de la censure de l’autorité souveraine ».
Au milieu de cette friche culturelle, a souligné J. Alturo, il y avait quelques pousses vertes : de bons écrivains et des universitaires ayant une sensibilité littéraire. Il a également souligné que, dans de nombreux cas, les scribes tenaient compte de la personne à laquelle ils s’adressaient et essayaient d’être plus simples. C’est dans ce but qu’ils ont commencé à introduire quelques mots en catalan : « La force de la langue catalane s’est construite progressivement : au VIIᵉ siècle, elle était déjà établie, mais ce n’est qu’au IXᵉ siècle que nous trouvons quelques mots en catalan, et ce n’est qu’au XIᵉ siècle que nous avons les premières phrases complètes ».
Le récit de J. Alturo et celui des historiens qui ont complété le programme ont permis, comme nous l’avons dit, de rendre un juste hommage à Ramon d’Abadal, mais surtout de nous faire prendre conscience de la réalité d’hommes et de femmes qui, sans le savoir, et sans même le soupçonner, étaient en train de forger une nouvelle conscience collective.