Qu’est-ce que l’époque carolingienne a légué au Roussillon ? D’abord, une riche documentation ! Et ces chartes publiques ou privées nous en apprennent beaucoup sur les comtés nord-catalans, sur l’habitat, les églises, les monastères, les Hispani et les premiers châteaux…
L’héritage le plus largement réparti, le plus étendu, c’est le réseau du peuplement, la plupart des villages du Roussillon, du Conflent, du Vallespir, de la Cerdagne apparaissent sous leurs noms dans nos sources à l’époque carolingienne, dans les chartes de la Catalunya Carolingia. Existaient-ils avant ? Certains sans doute, comme l’archéologie le prouve. Possédaient-ils les mêmes noms ? Peut-être, mais à part Elne et Ruscino, Collioure ou quelques lieux sur le tracé de la Via Domitia, nous ne pouvons en avoir la certitude. D’autant que certains noms de villages cités avant l’an mil sont clairement en rapport avec le phénomène de créations d’habitats, de défrichements et de multiplication des églises à l’époque carolingienne : Villaclara, Villarasa, Villalonga, Villanova, ou Sant-Joan la Cella, sans compter ceux qui témoignent des premiers châteaux ou sièges de pouvoir : La Roca, Mont Esquiu, El Soler…
À ces nombreux villages, nouveaux pour une partie, correspondent des dizaines d’églises nouvelles, qui apparaissent dans nos actes de la Catalunya Carolíngia, et que l’archéologie permet de reconnaître comme des créations de ces siècles, à l’initiative des paroissiens, de la cathédrale d’Elne, et très souvent aussi des abbayes.
Le second héritage d’une valeur inestimable est la création des abbayes bénédictines, dont le plus grand nombre fut fondé entre la fin du VIIIe siècle et le début du IXe. Certaines connurent un succès immédiat, un rapide essor et une longue pérennité : Sainte-Marie (à Amélie-les-Bains avant d’être déplacé à Arles-sur-Tech), Saint-André de Sorède, Saint-Génis-des-Fontaines, Saint-André d’Eixalada (déplacé ensuite à Cuxà), d’autres semblent dès leur création péricliter : Saint-Clément de Régleille (près d’Ille-sur-Têt) ou Saint-Estève del Monastir. Les diplomes carolingiens ont permis de mettre en lumière le rôle sans doute prépondérant d’un clergé “hispanique” dans ces créations. Abbés et moines arrivant d’outre Pyrénées et venus de l’Hispania aux mains des musulmans sont parfois cités comme fondateurs de ces monastères.
En effet les sources nous parlent de ces Hispani, des personnages emblématiques de l’époque carolingienne dans la Marca et la Gothie, eux-aussi participant au grand mouvement de mise en valeur du territoire : certains sont des abbés et des moines qui ont fondé des abbayes, comme Castellà aux Bains d’Arles, d’autres sont des colons armés, défricheurs de terres publiques, comme les parents de Recemir à Tresmals, près d’Elne, d’autres fondent des lignages nobles comme Sumnold et Riculf à Roca Frusindi, dans les Albères, d’autres fondent des villages, comme Rado à Villanova…
Nous l’avons évoqué à plusieurs reprises, le paysage actuel conserve les vestiges des fortifications publiques, châteaux comtaux et vicomtaux (Château-Roussillon, Camelas, Castelnou, Pomers en Conflent, Hix en Cerdagne). Les chartes carolingiennes révèlent la multiplication dès la deuxième moitié du IXe siècle et surtout au Xe siècle, de petits châteaux privés, ceux des premiers lignages secondaires de l’aristocratie locale : Querroig, Coustouges, Madeloc, au Xe siècle. On les nomme roca, podium, quer ou mons. Même l’évêque possède sa tour, contrôlant la terre placée sous son dominium, qui restera sa seigneurie, la Torre del Bisbe (ipsa Turre, 960, Latour-bas-Elne).
Aymat Catafau
Université de Perpignan Via Domitia