Laura de Castellet recherche et retrouve les sons du Moyen Âge. Ses sources sont la documentation, les sites archéologiques et les musées. Sa méthode est l’archéologie expérimentale : elle fabrique des instruments comme le faisaient les artisans de cette époque. Elle établit des ateliers virtuels partout dans le monde et elle parcourt les territoires catalan et français. Son opinion est que la France est le pays leader en Europe pour les études sur la sonorité médiévale. Nous avons assisté à une de ses causeries et nous avons parlé avec elle des communications et du rôle de la musique dans la société aux temps carolingiens.
Laura de Castellet est une vulgarisatrice nomade. Elle accourt là où on l’appelle chargée de ses objets et instruments médiévaux. Nous avons assisté à une causerie qu’elle a faite à Sant Llorenç Savall, au Vallès Occidental. Le public est très jeune : il y a beaucoup d’enfants, qui sont impressionnés par le spectacle des matériaux naturels, parmi lesquels des os et viscères d’animaux.
« Pour informer des situations de danger y avait trois systèmes : envoyer un messager, mais c’est lent et peu opérationnel ; faire des signaux de type visuel (fumée de jour et feu de nuit), mais il faut prendre en compte le vent, la pluie et les autres facteurs ; et le troisième, l’avertissement sonore, qui pendant des siècles s’est fait avec le cor. Il existait des cors en corne et, surtout à partir du XIᵉ siècle, le cor en céramique, qui sonnait beaucoup plus fort. »
Les études de Laura de Castellet se centrent principalement sur le paysage sonore du peuple, par delà les comtes et les rois. Pour cela, on doit se fonder davantage sur l’archéologie que sur la documentation. Ses domaines de travail habituels sont les fouilles et les réserves des musées, où il n’est pas toujours facile d’identifier les objets qui s’y trouvent : « Actuellement je suis en train d’étudier une paire de céramiques dont on m’a dit qu’il s’agissait d’entonnoirs (l’un est du Xᵉ siècle), mais je ne crois pas qu’ils le soient. Cela n’a pas de sens : ce sont sans doute des cors. »
La cloche la plus ancienne d’Europe
Un autre élément sonore important à l’époque sont les cloches : «J’ai trouvé un élément, au Musée de Lérida, provenant du site du Bovalar. Certains croient que ce site était un habitat. Je crois que c’était un monastère wisigothique, qui, au début du VIIIᵉ siècle a subi un incendie et a été abandonné. Une des choses qui me fait penser que c’était un monastère est qu’au milieu de la cour on a trouvé un élément catalogué au Musée de Lérida comme une caisse en fer. Je crois qu’il pourrait s’agir d’une cloche en fer. De cloches en fer, on en trouve dans toute l’Europe entre le VIᵉ et le XIᵉ siècle, et quelques-unes sont documentées. Je crois que celle du Bovalar est la cloche conservée la plus ancienne d’Europe. Elle est fendue, elle ne sonne plus, elle ressemble à une sonnaille de bétail, mais elle est énorme. »
Pendant que nous parlons, nous accompagne le son accueillant du clocher de Sant Llorenç Savall, qui marque les heures. Mais à l’époque carolingienne, les cloches avaient d’autres fonctions : « Au haut Moyen Âge, le concept du temps était très flexible et très relatif. Une heure était une heure liturgique. Les heures ne commencent à être sonnées qu’à la fin du XIIIᵉ siècle et, surtout, au XIVᵉ. Dans les siècles antérieurs, les cloches annoncent les morts, signalent les fêtes, font fuir la foudre. Elles portaient des inscriptions d’un langage très théurgique, magique, de type météorologique (“je fais fuir les foudres, j’éloigne les tempêtes”), ou alors le patronage d’un saint, comme saint Michel. C’est une communication presque animiste : “Comment puis-je faire pour arrêter cette grêle qui va détruire toute la récolte de l’année ? Je parle avec Dieu et j’essaie que le son l’arrête.” Encore il y a des lieux où des légendes relient le son de la cloche avec la protection que donnent les saints. Là où on entend la cloche n’arrivent pas les tempêtes. C’est très atavique. »
Les instruments du haut Moyen Âge
Du VIIᵉ au Xᵉ siècle, les instruments par excellence ont été les muses en bois , plus tardivement associées à un sac d’air : « En Catalogne nous n’en conservons aucune, mais on en trouve dans toute l’Europe. L’invention du haut Moyen Âge évolue jusqu’à devenir la cornemuse et aujourd’hui c’est le chalumeau des cornemuses. »
De temps en temps on découvre aussi des flûtes à une main en os ; mais il y en a qui ont un ou deux trous ou même aucun : ces objets sonores, pourtant, n’étaient pas des flûtes, mais des appeaux pour les oiseaux.
Les meilleurs instrumentistes
Qui avait l’habilité pour faire des instruments les faisait : « Et de toujours, les meilleurs instrumentistes ont été les bergers, parce qu’ils connaissaient bien les os, les viscères, les bois. Ils passaient longs moments dans les bois et ils avaient le temps, les outils et les matériaux. »
La musique religieuse
On n’a pas toujours eu besoin de noter la musique: « La musique populaire ne se note pas, elle se chante. La musique religieuse, chrétienne dans ce cas, continuait à être apprise dans les monastères, génération après génération. Maintenant encore, dans l’église orthodoxe, des morceaux ont leurs racines aux Xᵉ et XIᵉ siècles, et on n’en a jamais eu de partition, on les a simplement apprises. C’est au Xᵉ siècle que change la liturgie et qu’il commence à y avoir des partitions. On commence à noter la liturgie ancienne. Les premiers chants que nous avons avec une notation des Xᵉ et XIᵉ siècles sont le chant romain ancien, le chant gallican et le chant wisigothique, qui commençaient à ne plus être chantés. »