Dans le deuxième volume de la Catalunya carolíngia, Ramon d’Abadal a donné à connaître 114 préceptes royaux octroyés à des institutions ou particuliers des terres de la future Catalogne. De cet ensemble de documents, le texte complet ou fragmentaire de seulement quatre-vingt-trois des préceptes nous est arrivé ; les trente-et-un autres ne sont connus que par des notices incluses dans d’autres documents (des analyses).
Des 322 documents des comtés carolingiens de Pallars et Ribagorce seulement huit sont des originaux. Tous les autres sont des copies, conservées pour la plupart dans les cartulaires des monastères de Gerri, Lavaix, Alaó et Ovarra.
La plupart des parchemins des archives du monastère de Sant Joan de les Abadesses (près de 1 600) ont été conservés in situ et à l’Arxiu de la Corona d’Aragó (960 parchemins). Mais, dès la fin du XVIᵉ siècle, il en manquait 380.
Nous pourrions continuer à énumérer des informations semblables se rapportant à presque toutes les archives catalanes. Il y en a eu peu qui aient été conservées pratiquement entières. Par chance, une de celles-ci est l’Arxiu Reial de Barcelone, qui, par sa nature, a eu toujours des archivistes et des conservateurs. Mais, une de ses pièces fondamentales, le Liber feudorum maior, est arrivé jusqu’à nous totalement démembré et diminué.
La négligence humaine a été une des raisons principales pour lesquelles la documentation historique n’est pas arrivée plus intégralement jusqu’à aujourd’hui. Quelques supports documentaires non plus n’ont pas surmonté l’usure des agents naturels adverses : l’humidité, la sécheresse, les animaux parasites, etc.
Malgré tout, il y a eu une période spécialement nuisible pour la documentation historique : la période révolutionnaire européenne de la fin du XVIIIᵉ siècle et du début du XIXᵉ. La transition révolutionnaire de l’ancien régime féodal au régime démocratique libéral fut précédé par une disqualification intellectuelle sans précédents contre tout ce qui avait un parfum d’Ancien Régime, documents compris. La documentation ancienne, précisément, avait été soumise à des analyses très critiques d’un point de vue social et politique, et la conviction s’était répandue qu’une grande partie des anciens privilèges royaux et d’autres documents en faveur de laïcs et d’institutions religieuses étaient faux.
Un des espaces où les faits révolutionnaires ont le plus affecté la documentation fut l’actuelle Catalogne Nord.
En 1793, d’accord avec un arrêté du 5 janvier, trois charrettes de parchemins provenant des institutions ecclésiastiques sécularisées furent livrées à l’artillerie de l’armée des Pyrénées-Orientales, et une partie encore fut envoyée à l’arsenal de Toulon. Le 2 mars de la même année 1793, le citoyen David, archiviste du district de Perpignan, livra au sous-chef de la marine de Collioure 375 manuscrits en parchemin destinés à la fabrication de gargousses, c’est-à-dire d’emballages pour charger les canons.
Le 21 octobre de l’an fatidique 1793 fut célébrée une fête civique au champ de Mars de Perpignan au cours de laquelle fut brûlée une quantité indéterminée, plutôt élevée, de « vieux parchemins ».
Il n’est pas étrange, donc, qu’en 1798, quand le ministre de l’Intérieur d’alors demandait à l’Administration des Pyrénées-Orientales que soient envoyés à la Bibliothèque Nationale de Paris tous les cartulaires ecclésiastiques de la région, le seul qui fut trouvé ait été un registre du monastère cistercien de Fontfroide.
En Catalogne Sud, le désamortissement (la sécularisation des biens de l’Église) de Mendizábal en 1835 avait été précédée par celle du Trienni Liberal. De 1822 à 1824, les archives et manuscrits de Ripoll furent protégés à Barcelone par l’archiviste de l’Arxiu de la Corona d’Aragó, Prospèr de Bofarull. Malgré les déménagements, peu de documentation fut abîmée. Par les visites qu’y firent des érudits et les inspections ordinaires des moines claustraux bénédictins, on sait que les archives du monastère, exceptionnellement riches, étaient en bon état et bien rangées.
Le 15 juillet 1835 les couvents de Barcelone furent assaillis et brûlés. Le dimanche 9 août un régiment indiscipliné de miquelets, venus de Barcelone, assaillirent le monastère de Ripoll et mirent le feu aux archives, où ils étaient entrés par les fenêtres. En dehors de la documentation, ont disparu à Ripoll une centaine des manuscrits que Bofarull avait restitués peu à peu au monastère, après les avoir fait relier. Parmi ces manuscrits se trouvait le célèbre Psautier carolingien que Jaume Villanueva encore avait vu, écrit avec des lettres dorées et pourpres.
Jaume de Puig i Oliver
Institut d’Estudis Catalans